Ne plus penser naïvement que la vérité l’emportera toujours sur le mensonge

Chaque enfant a le droit de jouer un rôle actif au sein de la société et vous serez nombreux à vivre vos premières expériences d’engagement civique en ligne. Cependant, la plupart d’entre vous grandiront au sein d’un environnement en ligne saturé d’informations erronées et de « fausses nouvelles », qui sapent la confiance et l’engagement du public à l’égard des institutions et des sources d’information. Selon plusieurs études, aujourd’hui, beaucoup d’enfants et de jeunes ont des difficultés à distinguer le vrai du faux en ligne. En conséquence, votre génération ne sait plus à qui se fier ni ce qu’elle peut croire.

Nous savons que les fausses informations ont une incidence pernicieuse et des retombées dans le monde réel. Par exemple, des milliers de parents de la génération actuelle ont été bernés par de fausses informations sur la sécurité des vaccins qui circulaient sur les médias sociaux et sur des applications de messagerie mobile. Cela a généré une vague de méfiance à l’égard de la vaccination et une résurgence inquiétante de la rougeole dans des pays à revenu élevé comme à revenu faible, notamment en France, en Inde et aux Philippines.

Des enfants ont également été piégés par des campagnes de désinformation qui les ont amenés à donner de l’argent, à révéler leurs données ou à être victimes de pédopiégeage et d’exploitation sexuelle. Au cours des dernières années, nous avons vu que la désinformation avait le pouvoir de fausser le débat démocratique, d’influer sur les intentions des électeurs et de susciter la méfiance envers d’autres groupes ethniques, religieux ou sociaux, suscitant des divisions et des troubles. Ce problème touche le monde entier. Des signalements ont été effectués dans des pays très différents, comme le Brésil, l’Ukraine et les États-Unis, qui ont parfois été obligés d’instaurer des cours visant à enseigner aux élèves à « Apprendre à discerner » dans leurs écoles afin de lutter contre des campagnes de désinformation élaborées. Au Myanmar, une campagne de désinformation aurait même contribué à inciter le peuple à perpétrer des actes d’une violence terrible à l’encontre de la minorité rohingya.

Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg de cette ère de « post-vérité ». Alors que les technologies malveillantes s’améliorent, et que la vérification des contenus devient de plus en plus difficile, les risques de perdre la confiance du public à l’égard des institutions et de subir une discorde sociale augmentent de manière exponentielle. Par exemple, des technologies élaborées de manipulation des vidéos utilisent une technique de synthèse d’images basée sur l’intelligence artificielle pour déformer et manipuler la réalité, dans le but de prêter à des personnes des propos qu’elles n’ont jamais tenus. C’est ce que l’on appelle le « deep fake » ou l’hypertrucage. Ces technologies progressent et, si nous ne prenons pas de mesures pour aider la prochaine génération à éliminer les fausses nouvelles, ces dernières ont le potentiel de saper considérablement la confiance du public à l’égard des sciences et de la médecine, d’affaiblir nos institutions et nos convictions fondamentales, de diviser les communautés et de constituer de graves menaces pour nos démocraties.

À l’ère du numérique, nous ne pouvons plus nous permettre de penser naïvement que la vérité l’emportera toujours sur le mensonge. En tant que sociétés, il est impératif que nous développions une résilience face à l’avalanche quotidienne des fausses nouvelles en ligne. Cela commence par le fait de donner aux jeunes la capacité de comprendre à qui ils peuvent se fier et ce qu’ils peuvent croire, de manière à ce qu’ils puissent devenir des citoyens actifs et engagés.

Ce qui me donne de l’espoir : Certaines données suggèrent que les adultes devraient avoir confiance en la capacité des enfants et des jeunes à ne pas tomber dans le piège des fausses nouvelles. Selon une étude récente publiée par l’Association américaine pour l’avancement des sciences, les utilisateurs des médias sociaux de plus de 65 ans partagent près de sept fois plus d’articles contenant de fausses nouvelles que les plus jeunes. Si les raisons de ce phénomène restent inexpliquées à l’heure actuelle, cela peut toutefois indiquer que le niveau élevé de littératie numérique et médiatique des « enfants du numérique » fait office d’écran de protection. Il reste néanmoins clair que nous devons redoubler d’efforts pour former de jeunes citoyens perspicaces à même de résister aux manipulations et pour entretenir la confiance du public à l’égard des informations fiables et vérifiables et des connaissances institutionnelles.

Les plateformes de médias sociaux semblent prendre au sérieux la lutte contre la désinformation et travaillent avec de nouvelles organisations afin d’identifier clairement les sources fiables. Cependant, nous ne pouvons pas nous reposer uniquement sur elles pour trouver des solutions. Les enfants ont le droit de recevoir une éducation qui les prépare à affronter le monde dans lequel ils vivront. Or, aujourd’hui, cela passe par une meilleure littératie numérique et médiatique, une pensée critique renforcée et la capacité à évaluer des éléments probants. Le Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui considère l’esprit critique comme une compétence mondiale, inclut actuellement des questions visant à évaluer la capacité des candidats à démêler le vrai du faux dans la prochaine série de tests PISA, utilisés dans le monde entier. La mise en place d’initiatives similaires pourrait contribuer à généraliser l’éducation et la formation aux compétences de littératie numérique, lesquelles pourraient compter parmi les compétences les plus utiles à la prochaine génération. Nous devons également faire tout notre possible pour rétablir un climat de confiance et nouer des liens solides entre les jeunes et les institutions si nous voulons préserver la pérennité de nos sociétés démocratiques. 

Un dernier mot… Ce qui me donne le plus d’espoir, c’est que vous, les enfants et les jeunes d’aujourd’hui, prenez les choses en main en réclamant la mise en place de mesures immédiates et en vous donnant les moyens de découvrir et de façonner le monde qui vous entoure. Vous prenez position et nous vous écoutons. C’est vous, désormais, qui nous montrez la voie. Nous souhaitons œuvrer à vos côtés afin que nous trouvions ensemble les solutions dont vous aurez besoin pour relever les défis de notre époque et pour bâtir un avenir meilleur, pour vous et pour le monde dont vous hériterez.

Henrietta H. Fore 
Directrice générale de l’UNICEF (texte intégral)

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